• Crime et chat qui ment (extrait 1)

     

    Un parfait gouttière, Rom.

    Né matou, à présent castré, rondouillard, quémandeur...

    Ainsi nommé parce que, miaulant  pour réclamer, il adopte un ton bas, rentré, suppliant, pitoyable... même repu et satisfait !

    Son maître était grand, sec, voûté, barbu. Le genre « Grand Duduche » avancé, adolescent ranci sans avoir mûri.Les deux se complétaient comme des complices. Flegmatiques, assez loin de l’effort, ils aimaient tous deux le confort, voire le réconfort,et glander, voire dormir, autant que faire se peut.

    L’humain, qui n’avait rien d’un maître en somme, s’appelait Ludo et gagnait sa vie en traversant des bureaux appuyé sur une étagère roulante, pour distribuer selon les demandes dossiers, trombones, courrier, rames de papier...

    Il oubliait les commissions qu’on lui confiait et négligeait de recharger convenablement son petit éventaire, mais tout le monde aimait sa sympathie harassée. Le plus amorphe d’entre eux se sentait dynamique en sa présence.

    Ils l’avaient surnommé « Quat’saisons » à cause de sa voiturette et lui savaient gré de trimballer un perpétuel air de vacances dans cette ruche affairée. Son office faisait qu’il connaissait tout le monde , circulait dans tous les recoins de l’entreprise. Son badge ouvrait plus d’accès que celui du PDG, qui n’avait que faire des deuxièmes sous-sol et des appentis encombrés où Ludo s’était aménagé quelques recoins pour des siestes tranquilles.

    Rom, parfois le rejoignait dans ces refuges, car le deux pièces de Ludo était situé à deux pas de là,  Rom prenait donc un raccourci par les entrepôts et le toit de l’atelier d ‘emballage. Ludo laissait ouverte une imposte de cagibi à son intention, sous des prétextes d’air pur.

    Jamais Rom ne s’aventurait dans les locaux bourdonnants de travail. Il aurait risqué d’y rencontrer Monsieur Duponz, le directeur, toujours sous pression, ou Mademoiselle Olympe, son acariâtre secrétaire... Les autres, ma foi, il les sentait accessibles à la pitié accordée à ses miaous lamentables, mais il ne prenait aucun risque sans raison valable. Son existence restait donc inconnue à la majorité du personnel.

    Au cours d’un après-midi ordinaire, Rom était venu partager une sieste digestive avec  son complice, dans le débarras à l’imposte. Ludo venait de finir sa tournée des bureaux et était censé monter des caisses de fournitures du sous-sol. Il avait aperçu Rom en passant et l’idée de se reposer un peu l’avait séduit. Les deux compères s’apprêtaient à leur passe-temps favori en s’étirant, baillant tout leur soul et préparant leur couche.

    Un hurlement  formidable arriva par l’imposte ouverte sur la courette de l’atelier d’emballage,  et leur glaça les sangs. Suivit une chute de choses métalliques, des pas précipités, puis un silence de mort. Rom avait soudain doublé de volume et son poil commençait à peine à se replacer. Son échine et sa queue restaient dressés, en attente d’apaisement.

    Ludo se précipita (à son rythme tout de même, il ne faut rien exagérer) sur son chariot, pour tenter de regagner en douce l’endroit où il aurait dû être.

    En douce, impossible ! La plus part des employés étaient sortis dans le couloir et s’interrogeaient l’un, l’autre. Quelqu’un du département emballages surgit en bas de l’escalier, criant « au secours ! »Il réclamait le SAMU, la police sur un ton suraigu... Un employé décida d’aller voir, les autres suivirent comme un seul homme, en cortège dans l’escalier, car l’ascenseur n’était pas libre. Un cadre avait tout de même appelé le Samu, au cas où, et Mademoiselle Olympe était en communication avec la police. En rejoignant le groupe attroupé dans la courette, elle remarqua  un gros chat gris s’enfuyant par le toit, puis se glissant dans l’entrepôt.

    Deux des cinq employés à l’emballage, le Père et la Mère Blanc, deux vieux piliers de l’entreprise qu’ils avaient connue rustique et débutante, gisaient dans une flaque de sang et paraissaient sans vie. Le silence régnait quand Mademoiselle Olympe parvint au premier rang des curieux. Puis un murmure ténu le remplaça, devenant peu à peu plus bruyant. Quelques personnes sanglotaient, entourées de consolateurs. Une femme rousse entamait une crise de nerfs et plusieurs collègues s’employaient à la calmer... Personne n’était attentif  à la situation, aux présents, aux manquants. Seule l’absence de Monsieur Duponz avait été remarquée, mais sa secrétaire était au courant.

    Enfin on entendit les sirènes, on vit de nombreux gyrophares et les voitures bleues  ou blanches encombrèrent la cour d’entrée, dans de grands crissements de pneus pleins d’autorité.

    Quelques instants plus tard, un jeune inspecteur efficace avait réuni tout le monde dans le hall. Il avait dressé la liste des personnes présentes,  et commençait à recueillir les témoignages de tous ces gens qui n’avaient rien vu. Les victimes étaient évacuées, toutes deux atteintes de coups de couteau (d’arme blanche disait l’inspecteur, mais personne n’envisageait la présence de sabres ou de fleurets dans l’atelier où les outils tranchants abondaient)  Deux autres employés de cet atelier n’étaient pas sur les lieux. Ils étaient au deuxième sous-sol en train de vérifier une livraison arrivée le matin-même. On les fit monter, ainsi que Ludo qui avait rejoint dare-dare ce deuxième sous-sol où il mettait toute son ardeur ( ! ) à tenter de rendre invisible le travail pas fait de sa matinée de glandeur.

    Mademoiselle Olympe était aux côtés de l’inspecteur, qui interrogeait les cadres et les acteurs principaux, tandis que deux autres policiers  prenaient les dépositions du menu fretin. Les choses, menées avec zèle, marchaient rondement quand un coup de fil retentit sur le circuit laissé à disposition de l’inspecteur. L’hôpital . L’une des victimes était décédée durant le transport et  ils annonçaient qu’on n’avait pas réussi à ranimer la seconde, pourtant encore en vie au moment de son transfert. Si ces deux personnes ne s’étaient pas battues et entre tuées, on était en présence d’un double crime.

    L’inspecteur n’était pas mécontent. Son commissaire lui avait « confié  la boutique », pendant qu’il effectuait un stage très important,( à Monaco). Ce double meurtre tombait bien pour son avancement.

    Les victimes étaient au bord de la retraite, tranquilles, sans histoires. Ils comptaient beaucoup d’amis parmi leurs collègues, n’avaient jamais fait valoir leur ancienneté pour obtenir des postes plus reluisants, semblaient heureux dans leur atelier d’emballage. Ils étaient très unis, d’après la majorité des employés-maison, et ceux qui les côtoyaient le plus ne leur connaissaient ni enfants, ni famille proche. Ils étaient tout l’un pour l’autre et leurs seuls amis, ils les voyaient à l’entreprise.

    L’inspecteur s’appelait Malouch. Il était grand, plutôt brun mais  son crâne était  rasé. Ses dents longues ne l’empêchaient pas de marcher, et vite.

    (à suivre)

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  • Commentaires

    1
    Cécile Dufêtre
    Lundi 14 Octobre 2013 à 15:29

    Très alerte, ce récit. Il donne envie de poursuivre la lecture !

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