• la dernière visite de Belzebuth

     

     La dernière visite de Belzébuth  (extrait)

     Ou comment LA MOTTE, petit village provençal, nargua le diable

     — « Mais si, peuchère, cette année-là ! »

    — « L’année de la canicule de tout l’été... »

    — « Fan ! Si tu te rappelle pas ça... ! »

    — « Bien sûr, Papet, que j ’ai pas oublié ! C’était l’année du diable... »

    — « Té ! Il a bon dos, le diable !  On est tout de même au vingt et unième siècle, vas pas me sortir le diable !  Des criminels, des fous, des terroristes, si tu veux, mais le diable !  Referme ta boîte aux contes provençaux, fada !... qu’on regarde la télévision !

    ... Moi non plus, je n’y crois pas, au diable, pas en permanence. Mais je suis persuadé que les hommes le créent, de plus en plus souvent d’ailleurs, en faisant, en pensant, en voulant le Mal. Alors il gonfle, il prend corps, se solidifie, et vient, avec sa cohorte de démons, s’ébattre sur terre.

    Avec ce printemps aux goûts de plage, de fruits mûrs et d’été, nous étions au Paradis. Il fallait arroser les fleurs et mouiller le pastis, déjà, mais nous faisions la nique à la saison incertaine et ressentions un sentiment délicat fait de compassion et de supériorité pour les pauvres autres habitants de France dont nous suivions, aux infos, les mésaventures météorologiques Nous avions soleil et fleurs, pas de pluies pour gêner nos projets, et l’on se baignait déjà, mer et piscines.

    Egoïstement, nous profitions de tout cela, accordant un regard discret, non concerné, à la guerre infâme, aux misères noires de certaines contrées, à la domination sans contrepartie d’un seul pays sur les autres. On constatait les résultats des mauvaises actions semées ça et là dans les siècles colonisateurs, la mort lente de la pauvre Afrique rongée par tous les maux : cela nous fournissait le matériel de base pour les formidables coups de gueule que nous poussons si bien après boire ou après manger, juste avant la pétanque et au début de soirées sous les mûriers ou les platanes.

    Puis le rosé bien frais nous calmait et chacun savourait son bien-être quand arrivait la fraîcheur du soir qui entrait dans les maisons béantes de toutes leurs ouvertures toute la journée closes, s’épanouissant le soir venu.

    Ah ! Qu’on est bien dans nos villages provençaux ! Nous crions beaucoup, parfois très fort, mais connaissons bien notre chance !

    Pendant ce temps, Belzébuth habitait en Enfer, invisible, indiscernable, et se savait de moins en moins craint, cru, influent. Certes les hommes ne révéraient plus Dieu, lui collant sur le dos  tous les effets nocifs qu’ils créaient tout seuls, et ne voulant plus croire en un Père qui permettait les misères du monde.

    Alors le diable ! Ha ! Ha !... Une relique du moyen âge que l’homme savant  nomme un effet psychologique. On n’exorcise plus les possédés, on les calme  chimiquement, on anesthésie l’incube comme le succube et hop ! le tour est joué. Plus de possédés !

    Des escamotages à dégoûter Satan lui-même !

    Mais les humains, savants ou non, privés de la salutaire peur d’un Dieu juste et de toute la grandiose mise en scène infernale — où les damnés cuisent dans leur jus parmi d’atroces tourments destinés à les rendre prudents— continuaient à sécréter le Mal, plutôt plus et plutôt mieux...

    Leur nombre augmenta la production. La malheureuse période entre nationalisme et  mondialisation la hissa au niveau industriel, et la technologie devenue religion universelle fit le reste. C’était la prospérité au noir royaume souterrain. Les démons bien nourris par le Mal qui se déversait sur eux se multipliaient, se fortifiaient, devenaient puissants, ambitieux. Leur Maître, titanesque, ne tenait plus en sa demeure étroite.

    Splach ! L’enfer, trop plein, éclata comme perce un furoncle bien mûr  et les démons se répandirent sur la terre.

    à suivre

    « mouette rieuse et Gros MatouAnnette LELLOUCHE http://a5editions.fr »

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  • Commentaires

    1
    Romy
    Samedi 16 Mai 2015 à 13:37

    Un bon moment passé à lire vos extraits.

    Merci

    Rosemary V-A

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