• LOA

     

    Neandertal, moi, je l'appelle NEO, dans l'intimité

    Intimité ? Avec ce personnage grossier, un soi-disant cousin ?

    Je pense qu'on va encore découvrir le moyen d'affiner ses traits et ne plus le présenter sous cet aspect seulement terrible. Il avait sûrement ses charmes. En tous cas, il a vécu, avant notre arrivée, de nombreux siècles pacifiquement. Il n'a pas éradiqué ses autres cousins, ni proliféré au point de mettre sa planète en danger, lui. Peu à peu, on lui concède quelques possibilités artistiques, et s'il n'a laissé que peu de traces, c'est peut-être qu'il respectait la nature et ses habitants, comme le faisaient encore à notre époque des peuples dénommés primitifs que nous achevons de faire disparaître.

    Je vous dis : je l'aime bien. Aussi je lui ai écrit sa  légende, celle de LOA, fruit de ses amours avec TIA. Lui, c'est RHAN

    LOA

    Comme l’eau au pays des contes...

    Les mots, le temps, les situations, les caractères coulent, enjoués, frémissants,

    Profonds ou simplement quotidiens, ils sourdent, petite tache humide, ou jaillissent en flot puissant.

    Toujours grossit le ru, le ruisseau, le fleuve ;

    Les ruisseaux et les fleuves vivent au soleil, sous les ombrages… Presque tous. Celui-ci, ainsi que les autres, prend vie et puissance.

    Son sort cependant n’est pas commun. Sur son parcours, quelque faille l’engloutit, et c’est au noir pays souterrain qu’il étale ses beautés.

    Ignoré, il bâtit, il sculpte, fabrique des diamants, des géodes. Goutte-à-goutte naissent des stalactites pressées de rejoindre la stalagmite avec qui se fabriqueront des colonnades, des draperies, des merveilles.

    Il creuse des vasques, élève des cathédrales, ménage de délicieux nids tapissés de cristaux, cernés de passementeries scintillantes.

    Des siècles, des millénaires passent tandis qu'il parfait son oeuvre secrète, inviolée, au cœur des ténèbres.

    ... Rhan et Tia s’aiment. Ils ne le savent pas, ne comprennent pas la force qui les a poussés à fuir chacun son clan pour courir l'un vers l'autre et chercher un nid pour accomplir quelque chose qu'ils sentent mais ne conçoivent pas.

    Le clan de Rhan est différent de celui de Tia.

    Rhan est différent de Tia.

    Pas seulement parce qu'il est un mâle. Il est beaucoup plus grand, plus large que les mâles du clan de Tia. Son front proéminent est orné de sourcils broussailleux qui montrent sa détermination. Ses vastes mâchoires le rendent terrible, mais lorsqu'il sourit on a envie de s'abriter contre sa large poitrine. C’est ce que veut Tia, et qu'elle fait aussitôt.

    Rhan est séduit par la petite taille de Tia, sa confiance, sa blondeur. Elle ne ressemble pas aux femmes de sa race et cela lui plaît. Il aime son petit corps blotti, son odeur de feuillage, son joli menton volontaire.

    C'est l'eau qui les a réunis. Le fleuve.

    Rhan observait depuis plusieurs jours ces hommes étranges qui avaient investi un abri de la falaise. Leur allure gracile éveillait chez lui plus de curiosité que de peur ; ils mangeaient, dormaient, couvraient et ornaient leur corps, faisaient du feu, cuisaient parfois des viandes, s'en allaient boire et se baigner exactement comme ceux de son clan. Mais ils ne faisaient rien de tout cela de la même façon. Voilà pourquoi Rhan mettait tant de passion à les observer. Il les avait suivis au bord du fleuve, en se cachant derrière les feuillages. Là, il avait été ébloui par la grâce de Tia qui se baignait et estomaqué de voir les jeunes de la horde attraper à pleines mains des poissons dans les trous sous l'eau. Et ces poissons gluants, ils les cuisaient et les mangeaient ! Jamais Rhan ni aucun des siens n'avait mangé ces bêtes aquatiques, à peine les avaient-ils remarquées.

    Il repéra à quel moment ce groupe avait l'habitude de venir au bord du fleuve et ne manqua aucun de ces rendez-vous.

    Il avait compris qu'on pouvait manger des poissons ... Son attention se reporta presque uniquement sur la gracieuse Tia.

    À force d'observation, de plus en plus rapprochée, il advint l'inévitable moment où Tia resta seule au soleil, au bord de l'eau, soigneusement enduite de terre pour se sécher, ses cheveux étalés autour d'elle sur la pierre tiède. Il utilisa toutes ses ruses de chasse pour approcher ce tendre gibier sans lui donner l'éveil, se fit humble et petit, ses deux mains en coupe pleine de baies en offrande.

    Elle accepta le cadeau sans manifester aucune crainte. Il lui décocha son sourire ravageur et ils se levèrent de concert pour aller s'asseoir à l'ombre, sous le couvert des buissons.

    Les rencontres perdurèrent. Rhan apprit les joies de l'eau, le goût des poissons... Et comprit qu'elle préférait cacher leur intimité à sa horde. Peu lui importait. Il planait.

    Vint le moment de chercher un abri pour deux. Elle le dirigea adroitement vers le côté de la falaise le plus éloigné de l'habitat des siens.

    C'était dommage, car c'était le côté où il n'y avait plus de rivière. Elle disparaissait brusquement il ne savait où.

    Ils se glissèrent dans une anfractuosité tapissée de sable. L'exiguïté des lieux leur convenait. Cependant, Tia, curieuse, tendait l'oreille vers un murmure émanant de la paroi rocheuse. Elle contourna une grosse pierre et sourit à la chanson qui en provenait. Rhan était sur ses talons. Son sourire lui suffit : il fit rouler l’énorme pierre, dévoilant un sombre couloir.

    Sombre oui, mais rempli de la musique de l'eau : gargouillante, frétillante, cascadante.

    Sur le devant de la falaise, ils avaient allumé un feu pour cuire un poisson.

    Tia, qui savait comment transporter le feu, emporta quelques braises bien protégées et ils se glissèrent dans le couloir. Là, au moins, aucun jaloux de la tribu de Tia ne viendrait les déranger.

    Une fraîcheur humide régnait dans les ténèbres. Ils firent quelques pas de plus le long de la paroi suintante et soudain, plus de paroi, plus d'humidité, moins de fraîcheur. Et la chanson de l'eau envahissante, omniprésente. La faible lueur des quelques brandons ranimés par leur souffle se perdait dans une nuit immense. Mais quelques étoiles furtives parurent au ciel de cet endroit bizarre. Et la rivière chantait toujours. D'un même élan, ils reculèrent dans leurs propres pas et retrouvèrent la lumière. Le soleil déclinait. Rhan ramassa tout le bois qu'il put trouver et le porta vers l'intérieur, vers les brandons encore rouges.

    La grande flamme qui en jaillit trouva son reflet dans l'eau calme et tout fut illuminé fugitivement. Ils étaient émerveillés.

    Ils se lovèrent dans un creux de la roche et Rhan, jusque là arrêté dans ses élans de mâle par la déroutante fragilité de sa compagne, réalisa à plusieurs reprises l’union dont il rêvait depuis que le soleil et l’eau lui avaient révélé Tia... Et il se rendit compte que sa compagne, non seulement acceptait ses élans mais les appréciait et y apportait tout son concours.

    Ils vécurent cette inoubliable nuit au milieu des splendeurs que la variation des flammes révélaient par bribes à leur vision aiguë de chasseurs cueilleurs, dans la douceur d’une égalité de température dépourvue de vent ; ils se baignèrent à plusieurs reprises dans cette eau courante et fraîche, hôtesse de leur fantastique palace.

    Cette nuit de l’eau changea le monde. Tia, issue des hommes nouveaux fraîchement arrivés par petits groupes de terres lointaines, conçut et enfanta des oeuvres d’un homme dit « de Neandertal ».La petite fille naquit dans la grotte où elle avait été si joliment conçue, au bord de l’eau qui devint son deuxième milieu, avec l’obscurité qui lui était si familière.

    En ces temps obscurs où l’on ne pérorait pas, on n’en communiquait pas moins ses admirations et ses sentiments, on portait des ornements, comme ça, pour se faire plus séduisant, on vivait l’instant présent sans spéculer ni accumuler... on communiquait sans paroles avec sa famille, la nature et les animaux, que l’on admirait sans doute, pour leur force, leur puissance et leur habileté à survivre.

    Loa, fille de Tia, de Rhan et de l’eau souterraine, jaillie de l’obscurité de la caverne hospitalière suscita un sentiment nouveau fait de vénération inconsciente et d’une bizarre sensation de nouveauté. Issue de deux races, elle n’appartenait à aucune.

    Elle ne devint pas une déesse, parce qu’on ignorait qu’on put en idolâtrer, mais la conscience naquit d’un « autre chose » menant vers le concept d ‘un «au-delà ».

    Loa, fondatrice du «Peuple de l’eau et de la nuit », fait partie de nos ancêtres, qui nous ont dirigés vers un peu plus d’humanité.

    Nous avons tout perdu de cette naïveté, de cette instantanéité, de ce plaisir de vivre. Et nous souillons l’eau aussi bien que l’obscurité. Nous perdons le mystère de la nuit à coup d’éclats rivaux du soleil et la vie interne de l’eau à qui nous avons volé ses pouvoirs secrets en lui volant le temps qui lui est nécessaire.

    Oh ! Loa ! Pardon...Pardon!

     

     

     

     

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