• Piotr

    extrait d'un des destins insolites d'enfants  du recueil "RIBAMBELLE"

    (à paraître)

    premières pages de PIOTR

    Au milieu de la forêt scintillante du givre de la nuit glaciale, sous la timide lueur  matinale qui rosit le gentil lac  presque rond, une trace menue de petits pieds dans la neige  mène à la rive. Presque pas de transition entre la terre et la glace poudrée de blanc. Il faut connaître l’endroit pour ne pas se laisser prendre au leurre de la pellicule solidifiée capable par endroits de soutenir le poids d’un homme à cheval, à d’autres, de céder sous les pieds d’une chèvre.

    L’enfant blond enveloppé d’une peau de loup qui s’avance prudemment sur la berge connaît comme sa main le petit lac enchâssé dans la haute futaie. Il pense être né ici, n’avoir jamais vécu, fusse une heure, ailleurs. Le seul être humain qu’il connaisse est sa vieille aïeule, avec qui il partage l’antique cabane mi-pierres brutes, mi-planches vermoulues  équarries à la hache.

    Sa Babouchka n’est guère loquace.

    Certains soirs, pourtant, quand le feu de bois mort réjouit la cabane, l’éclaire, la réchauffe et la parfume de quelque soupe aux herbes sauvages mijotant au coin de l’âtre, elle psalmodie un monde étrange. S’y mêlent des lacs immenses, des chemins interminables, des trolls malfaisants, des loups, et des apparitions fugaces, de vastes maisons où règnent de terribles maîtres, des chevaux, des ours, des traîneaux tintinnabulants de sonnailles et couverts de fourrures, des villages, des pauvres serfs et de riches dames si belles, accompagnées de fiers cavaliers.

    Toutes ces évocations plongent la Babou dans une mélancolie profonde, et Piotr dans des abîmes d’incompréhension.

    Tandis que la vieille femme se perd dans la fumée de sa pipe garnie d’herbes sèches et semble soudain heureuse, le garçon torture ses méninges pour donner une réalité à la litanie de mots mystérieux mais enchanteurs qui s’est échappée de la bouche édentée.

    Villages, belles dames, traîneaux, apparitions…

    Pragmatique, Piotr commence par l’immensité des lacs… Bon, on agrandit celui qu’on connaît, encore et encore… Encore plus ?… Pareil pour le chemin… Le sentier qui mène à la forêt, plus celui qui mène au jardin, plus encore celui qui cerne le petit lac… Plus loin, plus grand… ?

    L’enfant s’exerce, au cours des longues marches nécessaires pour relever ses pièges, à envisager d’aussi vastes étendues.

    Quant aux autres êtres, objets ou fantômes, il s’en est forgé une représentation mentale bien à lui. Il tente parfois, avec une braise refroidie, sur un revers d’écorce, de concrétiser ses créations.

    Il se dit ; « c’est un cheval, ou c’est un vilain gnome, ou c’est un fier cavalier… » et son dessin représente un arbre, une fleur, une cabane ou un champignon : il reproduit ce qui peuple son monde en le nommant avec les mots des contes de la vieille. Les paroles du vent ont plus de signification pour lui que les récits de la babouchka, pures abstractions.

    Il ne sait pas que son aïeule est vieille. Il ignore la vieillesse comme la jeunesse. Sauf en ce qui concerne les lapins, qui sont bien meilleurs jeunes que vieux. Mais il n’a jamais rapproché ces subtilités culinaires de son état et de celui de sa Babou.

    Chacun des arbres qui entourent la cabane et le lac est une relation personnelle. Certains sont ses amis, ont toujours veillé sur lui. Il aime profiter de leur ombre pour ses occupations calmes, recherche leur abri sous les rafales de neige, étreint parfois leur tronc ami dans un élan de tendresse.

    D’autres, il se méfie , prélevant timidement sur eux ce qui lui plaît ou lui sert, avec une petite prière mentale :  « Ne me fais pas de mal, grand arbre redouté, j’ai juste besoin de petites tiges flexibles pour piéger… »  Il ne formule pas les mots : explications et excuses fleurissent dans son cœur. 

    Puis il y a ses ennemis, ceux à qui il n’adresse pas la parole, même intérieurement. Il s’en tient éloigné, détourne sa route pour les éviter, néglige leur bois mort et dédaigne les baies ou les champignons qu’ils abritent. Ceci pour vous expliquer les sinuosités bizarres des petits sentiers autour de la cabane.

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