• Zéphyrin Vautier, dit Zeph

    extrait de

    RIBAMBELLE

    ensemble d'histoires d'enfants aux destins "bousculés"

    Zeph est arrivé dans ce village perdu du piémont pyrénéen,muni d'un lourd dossier de vaurien étiqueté par l'administration. Il sera chevrier, pour aider le vieil Emile, perclus de rhumatismes.mais, cherchant à mal faire pour s'amuser, il découvre les livres, un peu malgré lui. Depuis, il lit.

    Il lit, vous dis-je !

     

     

    ...Et depuis, Zeph lit.

    Indocile, distrait et maladroit, quelle activité  peut on lui confier, dites-moi ? On a tenté, échoué. On ne tente plus rien et Zeph est le plus tranquille des vauriens.

    Il a apprivoisé la campagne alentour, pris ses habitudes sans déranger personne, ne rôde nulle part et rentre manger la soupe avec Emile, le soir tombé, et dormir avec les chèvres. Tôt couché, il est debout aux aurores, file chercher la pitance du vieux à la cuisine communale, avec un quignon de pain. On lui donne quelques restes de la veille pour lui, dans une boîte en plastique vert. Sa journée est finie, sa liberté s’étale devant lui en une large flaque.

    Il gagne un de ses repaires, confortablement aménagé, à l’abri ou en plein air, mais toujours loin, bien loin des activités de ces ruraux toujours occupés. Et il lit.

    L’été les pieds dans l’eau, l’hiver enseveli sous le foin, il lit, je vous dis ! Il lit.

    Je vous entends...Que lit-il ? Des polars, des BD, le journal local, Platon ? 

    Ben oui, aussi. Tout ça et bien d’autres choses encore. Des romans, des essais, de la Fantasy, de la Science Fiction,  de la philosophie et des brochures scientifiques, des revues de jardinage, de la poésie et de l’humour, quand il en trouve. De quoi faire perdre ses repères à Mademoiselle Eudoxie !

    Je vous entends encore : y comprend-il quelque chose ? et quoi ?

    Personne ne peut répondre à cette question.

    Zeph se rend à la bibliothèque, salue bien poliment Mademoiselle Eudoxie, consulte rapidement les rayons, s’attardant un peu quand le bibliobus est passé et que le fonds est renouvelé. Il rend quatre livres bien propres et en reprend quatre choisis comme s’il suivait un plan, mais un plan incompréhensible à tout autre que lui. L’ensemble lui prend au maximum vingt minutes. Il dit merci et sort sans une parole de trop.

    Mademoiselle Eudoxie a bien tenté, la maligne, non pas de le questionner,— on sait qu’il ne répond pas, caché derrière un demi sourire timide— mais de lui proposer un ouvrage nouvellement rentré, en ajoutant qu’il lui a bien plu, qu’il est très riche ou bien écrit, ou original... Elle a cherché l’entrée, mis des appâts pour piéger l’animal... Peine perdue ! Chou blanc ! Poli et souriant, il présente pour les inscrire  quatre volumes de son choix  et s’en va, mystérieux et serein.

    Bref, que vous dire ? Zeph lit, beaucoup et vite, ou bien fait semblant, ou bien perd son temps, un livre à la main et trois autres dans sa besace, tout en les choisissant soigneusement et en les renouvelant... Qu’en pensez-vous ? Quelques habitants du village l’ont suggéré, puis ont abandonné. Seule Mademoiselle Eudoxie passe des nuits difficiles sur cette énigme qui l’agace . Elle accroche Monsieur le maire au passage, pour l’alerter sur ce drôle de citoyen, retient  Amélie, la jeune institutrice, pour lui poser le problème. Même le docteur, qui a une permanence deux jours par semaines au village, a été sollicité par ses soins :

    — « Est-ce normal, Docteur ? »  Le Docteur s’en fiche, détourne l’attention de la vieille demoiselle sur ses rhumatismes, et la quitte, pressé comme toujours.

    Donc, sans que personne ne s’en offusque, Zeph, avant-dernier arrivant dans la commune( les Tournier viennent d’avoir un bébé, qui est, lui, le dernier), Zeph, dis-je, lit.

    Bon. Le Jacquot à Etienne est un peu bossu, la  petite Mireille tire la jambe, le garçon de la Bertrane a la tête trop grosse... A chacun sa particularité, et quand la remarque a fait le tour du village, où voulez-vous qu’elle aille ? C’est un fait établi. Zeph devient aussi banal qu’eux...

    Le garçon semble routinier. Une fois ses habitudes installées, il n’en change guère. Cela convient bien, dans la commune.

    Zeph est maintenant plongé dans un livre relié, un peu épais. Les oiseaux m’ont rapporté que les caractères en étaient petits et serrés. Il en est au premier tiers et semble passionné.

    Mais voici que le lecteur paraît dérangé de son attention. Plusieurs fois de suite, il lève le museau, exécute quelques grimaces, se frotte les yeux, les ferme, puis reprend sa lecture. Voilà qu’il fait mine de chasser des mouches posées sur les pages... Il n’y a pas le moindre insecte sur ce rocher sec dominant les prairies, sur lequel il est installé.

    Il a, depuis, tourné trois pages mais continue son manège : et que je te frotte les yeux, et que je te chasse quelque chose d’invisible sur les pages, et que je cesse un instant de lire pour accommoder autrement mes yeux. !.. Deux pages plus loin, voici qu’il pose le livre. Il  a inséré une tige sèche entre les pages, l’a fermé et rentré dans sa besace.  Maintenant, il admire le paysage grandiose borné au loin, par les brumeuses montagnes, déroulé au soleil comme un somptueux tapis au pied de son rocher commode. Quelques instants passent, durant lesquels il s’intéresse au vol exploratoire d’un grand rapace.

    ...Il ressort et  rouvre le livre, reprend sa lecture, suivant du doigt sa progression... puis part d’un grand rire, insolite dans ces solitudes impressionnantes ! Il semble jouer, à présent. Jouer de ses doigts sur les caractères du bouquin. Il rit comme s’il avait affaire à de petits plaisantins cocasses apparus sur le texte imprimé...

    En voilà une histoire ! Toutes les lettres  un peu rondes se comportent comme des yeux, clignent et s’agitent sous son regard. Sa vision périphérique lui a permis de constater que, là où il ne lit pas, elles restent sages... S’il ouvre le volume au hasard et parcourt quelques mots, tout est normal.

    Non. Tous ces clins d’yeux amicaux suivent sa lecture.

    Même ! Arrivé à un dialogue, tous les tirets cadratins se transforment en sourires, ce qui rend curieux cet échange un peu vif entre deuxpersonnages peu aimables

    « PiotrONIRIQUE »

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